Tuesday 11 March 2008

LA LIBERTÉ D'EXPRESSION EN DANGER

La chronique de Me Julius Grey de cette semaine dans le Journal de Montréal, expose la fragilité de la liberté d’expression si chère aux citoyens des pays démocratiques. Le constitutionnaliste notoire nous illustre comment que divers lobbys sont arrivés à déloger la liberté d’expression de la place de choix qui lui revenait dans la charte des droits et libertés, pour la remplacer par divers autres droits des minorités ou même majorités au nom de l’idéologie politique dominante et la rectitude politique.

À quoi sert le droit à la liberté d’expression, lorsque non seulement il nous est de plus en plus défendu de s’exprimer librement sur plusieurs enjeux importants, mais que même lorsqu’on nous le permet, on fait fi de nos opinions et appels ?

La liberté d'expression

Acclamée par tout le monde, la liberté d'expression est néanmoins la plus fragile des garanties constitutionnelles. Depuis quelques semaines, les Canadiens ont eu plusieurs rappels de cette réalité.

Le gouvernement conservateur a annoncé qu'il n'entend plus subventionner les films «contraires à l'ordre public». On veut éliminer le financement des films à thématique sexuelle ou bien ceux où les jeunes consomment des narcotiques ou de l'alcool. Évidemment, contraire à «l'ordre public» peut aussi vouloir dire contraire à l'idéologie politique dominante ou aux valeurs établies. Bref, il s'agit d'une expression ambiguë qui se prête à un grand degré de censure.

Le gouvernement dira avec raison qu'il n'entend rien prohiber. Il veut simplement gérer ses fonds selon ses velléités. Formellement inattaquable, cet argument se heurte à la réalité qu'il est impossible de tourner des films sans la subvention. Les nouvelles directives sont donc aussi efficaces qu'une prohibition.

Un autre accroc à la liberté d'expression vient d'être dénoncé au Canada anglais. Il s'agit de la censure pratiquée par les commissions des droits de la personne. Entre leurs mains, la gentillesse et le respect d'autrui deviennent des instruments de répression et on n'a plus le droit de publier une critique cinglante ou blessante d'un groupe ou d'une religion. La diversité et la tolérance sont des dogmes saccharines mais inexorables dont l'inobservance est sévèrement punie.

Souvent, les restrictions à la liberté d'expression sont défendues par un appel au bon sens. Est-il nécessaire pour nos impôts de financer la pornographie ou de payer pour que l'on glorifie des comportements inacceptables chez les jeunes? Est-il souhaitable de donner une tribune à la haine ou au mépris? D'apparences raisonnables, ces invocations du bon sens sont particulièrement pernicieuses.

La liberté d'expression n'est nécessaire que lorsque les propos contestés sont controversés ou impopulaires. Même les pires dictateurs n'empêchent pas l'expression des platitudes conventionnelles. Le véritable défi est de tolérer l'expression qui répugne à la majorité ou qui est contraire aux valeurs fondamentales du moment.

Après deux siècles de censure, les Français ont réalisé récemment que le Marquis de Sade était un des grands auteurs français. Flaubert, Joyce, Lawrence et Genet ont tous été victimes de censure. On ne pouvait parler clairement de l'amour homosexuel jusqu'en 1980. Prendre pour acquis que les normes de notre époque sont les bonnes, contredit un des buts principaux de la liberté d'expression, qui est de faciliter le changement et l'évolution des valeurs.

L'INFLUENCE DES LOBBYS

La liberté d'expression est particulièrement affaiblie par l'influence des «lobbys». Pendant que nous nous targuons collectivement de la nature libre et démocratique de notre pays, chacun des lobbys ethniques, religieux et parfois politiques se bat pour proscrire l'opposition à ses buts. Ce sont les lobbys qui nous ont amené à accepter la malencontreuse loi sur la propagande haineuse. Ce sont encore des lobbys qui exigent sans fondement logique que l'égalité des hommes et des femmes ait un statut plus exalté que la liberté d'expression dans le panthéon des droits. La réaction à la proposition de censure des films illustre la puissance des lobbys. La majorité des commentateurs ont condamné la nouvelle initiative. Cependant, la droite chrétienne l'a immédiatement encensée comme mesure pour protéger les enfants.

Les gouvernements sont naturellement sensibles aux demandes des lobbys qui peuvent influencer les élections. Il s'ensuit que ceux qui tiennent à la liberté d'expression et qui apprécient son importance doivent aussi agir ensemble pour la protéger. Tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas de défense rigoureuse, cette liberté perdra toujours ses affrontements avec les intérêts puissants et déterminés.

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